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Fred Bernick présente dans cet article les premiers circuits fléchés à Bleau, qu'il a tracés au printemps 1947. Il mentionne la pratique antérieure d'un circuit "virtuel" dans le même massif : "La Traversée du Cuvier". Ce qu'il appelle "Le Circuit du Rempart" se compose en fait de deux boucles "La Rouge" et "La Jaune". L'objectif est clairement un entrainement pour la montagne.

La description détaillée des boucles ressemble à la description des courses en montagne comme dans les fameux "Guides Vallot" pour le Massif du Mont-Blanc. Les lettres ("S", "P", etc.) font références aux signes peints sur le circuit forestier bleu "Dennecourt". La densité du chaos permet d'établir une stricte règle du jeu consistant à ne jamais mettre pied à terre ce qui impose à l'occasion des sauts plus ou moins agréables. Un gros avantage en résulte : il suffit de nettoyer une fois ses semelles au départ... en tout cas à l'époque ou le couvert végétal moins dense associé à une fréquentation régulière assurait une propreté de l'ensemble des blocs. Hélas, souvent il s'agissait de semelles "Vibram" et une sévère patine est apparue au fil des années. Par ailleurs, l'usage du crash-pad, apparu beaucoup plus tard, n'est vraiment pas approprié. Par ce fait et vu l'engagement d'un certain nombre de blocs et leur usure, ces circuits ne sont presque plus parcourus (malgré un rafraichissement récent, conservant les couleurs "historiques"). Le lichen pousse et le cercle vicieux de la faible fréquentation se met en place.
Il est dommage que ces pistes soient ignorées aujourd’hui de la majorité des grimpeurs, y compris des plus anciens,  alors que dans les années cinquante les plus grands les parcouraient fréquemment afin de se préparer aux grandes aventures alpines.

En fin de l'article on a ajouté un texte paru dans le numéro d'octobre 1947 annonçant une variante permettant d'éviter la "Dalle Cassée" trop morpholoqique!

Article publié dans Paris-Chamonix n°6 de juin 1947


couv 200Par la nature de sa constitution géologique, entraînant une difficulté technique sans égale en France et sans doute au monde, Fontainebleau constitue la plus poussée et la plus pure des Ecoles d'Escalade. On peut, par contre, lui adresser un reproche sérieux, c'est le défaut total de voies d'une longueur suffisante pour offrir une variété et une continuité d'effort comparables à celles d'une ascension en haute montagne.
Isolément, chaque voie peut s'assimiler à un passage de montagne ; ce qui manque, c'est la liaison entre les passages, cet enchaînement d'écarts, de tractions, d'élans, de poussées, de sauts, qui oblige l'alpiniste à un travail musculaire soutenu. Or l'escalade se pratique, à Bleau, sur un mode bien différent : chacun grimpe à son tour pendant que les autres conseillent, admirent ou critiquent, puis quand tous ont réussi la voie — ou échoué — l'on se transporte au pied d'un autre rocher où la séance continue suivant le même rythme.

Depuis de très nombreuses années et sans y voir autre chose qu'un jeu, les grimpeurs bleausards effectuaient de temps à autre la « Traversée du Cuvier », exercice consistant à escalader de suite, en sautant d'un bloc à l'autre, les voies échelonnées dans le groupe du Rempart entre l'S et la Johannis. Cette traversée était un peu courte, d'où l'idée, d'abord de l'allonger, ensuite de réaliser à travers le massif un véritable circuit empruntant la majeure partie des voies classiques, réunies entre elles par des passages de difficulté variable habituellement délaissés pour des morceaux plus connus et plus honorables.



C'est avec l'intention d'en faire moins un jeu qu'un parcours d'entraînement à la haute montagne que le « Circuit du Rempart » a été réalisé. Innovation d'un intérêt apparemment peu contestable, permettant au surplus la marche en cordée avec toute l'utilité que cela présente pour l'enseignement de l'alpinisme ou, simplement, la mise en train avant la saison d'été, le Circuit présente une succession d'une centaine de voies et passages allant jusqu'au quatrième degré de l'échelle de Bleau. Il est à préciser que loin de rechercher systématiquement la difficulté, le choix des voies et l'enchaînement des passages ont été déterminés surtout par leur intérêt pour l'alpinisme et par la continuité de l'effort.
La règle du jeu exige que le grimpeur ne pose jamais le pied sur la terre mais progresse continuellement sur les blocs de rocher ou franchisse, d'un bond, l'espace qui les sépare, quelquefois à une hauteur suffisante pour constituer au surplus un exercice de précision et, à l'usage des débutants, une épreuve de volonté.
Ainsi qu'on le verra par la description de l'itinéraire, le Circuit du Rempart constitue un banc d'essai très complet — il pourrait servir notamment de critérium pour la sélection et le classement des moniteurs et des élèves. Enfin, détail qui a son importance, le rocher séchant beaucoup plus vite que le sol après une chute de pluie, on trouve dans le Circuit a possibilité de grimper sans la hantise des pieds mouillés, bien connue des habitués de Bleau.
La longueur et la complexité du parcours ont rendu mécessaire un fléchage. Celui-ci, aussi discret que possible, a été fait avec l'autorisation de la Commission d'Escalade et d'Alpinisme de la Section de Paris.

DESCRIPTION DU CIRCUIT


Le circuit est situé dans le massif rocheux du Cuvier Châtillon, groupe du Rempart (n° 3 de la carte spéciale de la forêt, au 1/30.000°, avec surcharge des rochers d'escalade, éditée par Girard et Barrère, sous les auspices du Club Alpin Français). Il comporte deux boucles, constituant chacune un circuit indépendant avec point de départ et retour au sommet du Rocher du Rempart, sorte de bastion couronnant la partie la plus élevée du massif. L'itinéraire est marqué par des flèches de couleur rouge pour la première boucle et de couleur jaune pour la deuxième ; il suffit de suivre la direction indiquée par l'une quelconque des flèches pour rencontrer la flèche suivante. Les flèches sont, dans la mesure du possible, dissimulées aux regards des promeneurs qui suivent les sentiers. Dans les passages où l'itinéraire aller est voisin de l'itinéraire retour, les flèches successives sont suffisamment rapprochées pour qu'aucune erreur ne soit possible.


PREMIERE BOUCLE OU BOUCLE ROUGE

Cette boucle est la plus longue mais la plus facile des deux; aucun passage n'atteint le 4° degré. Les passages d'escalade intérieure y sont plus nombreux que dans la boucle jaune.
Son point de départ est situé à l'extrémité Est du Bloc Central du Rempart. On y trouve une marque D entourée d'un cercle rouge.
Descendre du Bloc Central par une dalle inclinée. Tourner à droite et se diriger au sud par des rochers plats jusqu'au Cube (1). S'y rétablir et le traverser pour gagner la Pyramide — ou Cervin — (2). Descendre son arête nord et suivre vers le sud le couloir qui la borde, puis, tournant à droite, escalader par une fissure versant sud le Rocher du Déjeuner (3). Obliquer vers l'ouest, traverser par une vire inclinée le flanc sud d'un gros bloc (4) et descendre vers le sud, puis, après avoir, au moyen de la courte fissure du Petit Pin (5), versant sud-ouest, franchi un nouveau bloc, continuer en direction sud-est jusqu'à la base du versant nord du Rocher du Culot (6). Contourner celui-ci par la droite au moyen d'une traversée en opposition. Atteindre d'un bond le bloc situé au pied de l'Envers de la Tête de Veau (7), Franchir celle-ci vers l'ouest et descendre au sud par le rocher qui lui est contigu. Quelques rochers faciles conduisent au sud-est à une traversée descendante (8) puis à une brèche profonde (9) que l'on traverse à mi-hauteur. Descendre du rocher formant la paroi sud par une opposition sur les mains et une enjambée à gauche, Gagner à l'est les Jumelles (10). Remonter vers le nord au pied du Grand Mur (11). Celui-ci franchi, gagner, toujours en direction du nord, la Dalle Cassée – ou Escalier de Service — (12), qui est escaladée par la voie des trous. Tourner à droite à angle droit, monter par une échancrure sur le rocher voisin (13) faire quelques pas vers l'est et revenir en sens inverse en suivant son flanc nord, à mi-hauteur, sur de petites prises. Un saut retourné et quelques rochers bas amènent à l'arête sud du Z (14). Au centre de la plateforme sommitale de ce rocher, l'itinéraire fait un coude à gauche et permet, en se dressant sur le tranchant d'un rocher bas, d'emprunter une voie dont la sortie est commune avec celle de la Voie Souverain (15). Quelques mètres en arête et une vire vers l'est conduisent au Dromadaire (16). Celui-ci traversé par sa face sud, s'engager par une grande enjambee dans la série de fissures et de cheminées du Labyrinthe (17). Ramoner la première, en sortir par une courte fissure à gauche. Quelques pas à l'est mènent au fond d'une brèche. Remónter l'autre versant en même direction et tourner à droite jusqu'au sommet d'une seconde cheminée. Descendre celle-ci, tourner à droite pour en remonter une troisième, tourner à gauche. Une fissure dièdre ramène au pied de la paroi, puis se diriger vers le sud puis à l'est jusqu'au pied du Bénitier (18). Gravir celui-ci et revenir au nord pour s'engager, à quélques mètres à gauche de la fissure Deudon, dans la Boîte aux Lettres (19). Celle-ci fait un coude à droite, passe sous un toit, puis l'itinéraire s'infléchit à nouveau à droite en direction est. Franchir sur le plateau plusieurs blocs séparés par des brèches, faire une petite traversée à gauche sur les mains (20), suivie presqu'immédiatement d'une courte cheminée (21). Tourner à droite à la sortie de celle-ci pour gagner le sommet du Rateau de Chèvre (22). Descendre ce dernier et atteindre d'une enjambée la bas de la Dulfer (23). De la sortie de ce beau dièdre, descendre vers l'ouest, suivre sur deux mètres la base de la paroi, remonter par la fissure P (24). Suivre la bordure des blocs du Rempart, descendre dans une brèche à droite, traverser le sentier Dennecourt pour aborder les Montagnes Russes (25, 26, 27, 28) qui mènent, par une suite de montées et de descentes, jusqu'à l'envers de la Grande Arête (29). Chevaucher celle-ci par le fil jusqu'à son sommet, en redescendre por son arête sud - est, et, par des rochers plats en direction sud, atteindre la voie de la Flèche Bleue (30). Tourner à droite, suivre la bordure, du rocher, descendre dans une brèche à droite, passer sous une paroi surplombante pour gagner, par le versant sud, la Grande Glissière (31). Descendre celle-ci vers l'ouest jusqu'au sol, passer sur les vires qui lui font face, les suivre vers la gauche, monter au sommet de l'Auvent du Q (32), continuer vers l'ouest. Franchir par de petites prises une dalle de faible hauteur (33). Revenir vers la paroi du Rempart, se rétablir sur un feuillet détaché puis sur la Vire-Auvent (34), Contourner, toujours vers l'ouest, l'Angle (35), remonter par une fissure oblique vers la droite. Descendre par une gorge peu marquée (36) jusqu'au tourmant du sentier. Contourner le coin du rocher et remonter par la facette ouest du Bloc Nord, à quelques pas de la Grande Brèche, pour parvenir au point d'arrivée, marqué de la lettre A, dans un cercle rouge, au sommet du Rempart, à proximité du point de départ de la deuxième boucle.

sch ouest 600

sch est 600
DEUXIEME BOUCLE OU BOUCLE JAUNE

La Boucle Jaune comporte trois passages de 4° degré. Les voies en dalle s’y rencontrent en assez grand nombre. Le point de départ est situé à l'extrémité ouest du Bloc Central du Rempart. Il est marqué de la lettre D peinte en jaune et entourée d'un cercle. Descendre du Bloc Central par son arête nord-ouest jusqu'à la Grande Brèche. Celle-ci est suivie dans le sens nord-sud à mi-hauteur, en appui sur les deux faces opposées, A la sortie, s'élever en écartement et gagner par l'arête le sommet du Bloc Ouest (a), d'où l'on descend dans la brèche qui s'ouvre face au Rocher des Débutants (b), Celui-ci est escaladé par le dièdre et traversé vers l'ouest. Descente et passage faciles jusqu'à la Bosse (c). Descendre de celle-ci au nord-ouest et s'engager vers le sud entre deux gros blocs. Celui de droite est traversé à mi-hauteur par une vire (d). Quelques rochers plats en légère, descente conduisent ensuite vers l'ouest jusqu'au pied d'une courte cheminée qui s'ouvre vers la droite (e). En sortir vers le nord, descendre puis revenir au sud pour escalader une mince fissure menant à une échancrure, l'Apéritif (f), Descendre au sud par une petite cheminée (g), tourner à droite et suivre un parcours facile au sud puis au sud-ouest sur de gros blocs, jusqu'à la dalle aux 3 Etages (h). Celle-ci franchie, descendre par quelques blocs pour effectuer la traversée du Petit Grépon (i). Descendre de ce rocher au sud par sa partie surplombante, monter quelques pas sur une dalle en légère déclivité. Une nouvelle descente conduit, en tournant à gauche, à l'entrée d'une Boîte aux Lettres (j). Traverser celle-ci et revenir à droite vers l'ouest. Quelques sauts et enjambées conduisent au pied du Toboggan (k), dont on atteint la vire de départ par un pas délicat, l'escalade 8e poursuivant par la facette sud. Du sommet, revenir vers le nord, traverser le sentier Dennecourt, s'engager dans une petite cheminée à droite de la Dalle du Fakir (l), la ramoner, tourner à gauche et suivre une vire descendante puis quelques blocs jusqu'au couloir faisant face à la Dalle Gaby. Une petite fissure à droite mène au sommet du Sans les Mains (m). Descendre à l'ouest sur la crète d'un bloc allongé. Quitter celle-ci pour descendre par le versant ouest dans une brèche large et profonde (n) remonter par des rochers faciles vers le nord pour arriver au pied de l'S (o). Escalader celui-ci par la voie de la demi-lune, sur la face surplombante marquée de la lettre S, en bordure du sentier Dennecourt. Descendre par l'arête nord sur une vire et un gros bloc, tourner à droite, remonter l'arête est de l'S et redescendre immédiatement pour passer sans difficulté sur les blocs voisins au sud. Traverser le sentier Dennecourt à 1 m. 50 du sol par une grande enjambée ou un saut et se diriger au sud jusqu'au pied de la Dalle Gaby (p). Gagner le sommet de celle-ci par la gorge peu profonde qui sillonne sa partie médiane. Tourner à droite, franchir une brèche, obliquer à gauche pour descendre au pied du Pic Senly (q) et traverser celui-ci. Atteindre par quelques blocs faciles le Petit Muር (r). Traverser vers l'est sa plateforme sommitale, sauter une brèche et gagner par des rochers plats la Petite Vire (s). Suivre celle-ci sur deux mètres, en sortir au nord par une petite fissure pour se diriger en quelques pas jusqu'au Coude (t) à trois mètres à gauche de l'Apéritif, où l'on croise l'itinéraire aller. Obliquer vers l'est pour atteindre le Johannis — ou Y — (u). Le versant nord du rocher mène, en pente douce, à quelques rochers plats suivis du Rocher des Hésitants (v), Franchir celui-ci à la montée et à la descente sur des prises peu marquées. Suivre des blocs faciles en arc de cercle vers la droite jusqu'au pied du Bloc Ouest du Rempart. Tourner à droite et escalader le rocher qui le flanque au sud (w) par le Petit Réta. Descendre à l'est et gagner la base du Bloc Central du Rempart, au sommet duquel on accède par son arête sud-ouest pour terminer la boucle au point marqué A.

HORAIRE

Le parcours du circuit peut demander un temps très variable selon la valeur des grimpeurs et leur nombre et suivant qu'ils s'encordent ou marchent isolément. Un grimpeur rapide et bien entraîné doit pouvoir, en solitaire, accomplir le tour des deux boucles en moins d'une heure. Une bonne cordée de deux mettra 1 h. 30 à 2 heures. Pour une cordée moyenne, s'assurant dans les passages difficiles ou exposés, la traversée peut demander plusieurs heures.
C'est dire l'intérêt du circuit pour contrôler les progrès de l'entraînement et pour acquérir le souffle indispensable à qui veut grimper, sans perdre de temps et sans forcer, en haute montagne.
Il est permis de penser que le Circuit du Rempart sera accueilli favorablement par la majorité des grimpeurs et alpinistes. Que ceux qui seraient hostiles à son principe ou sa réalisation, ou qui croiraient devoir le tourner en dérision, commencent par aller voir... et par essayer.

par Fred BERNICK (seuls les schémas sont signés!)

Complément (Octobre 1947)

L’ESCALADE AU CUVIER

Le Circuit du Rempart a trouvé auprès des grimpeurs et alpinistes de tous âges un accueil favorable. On a pu voir de nombreuses cordées y parfaire leur entraînement avant le départ pour la montagne, la boucle rouge présentant à cet égard un intérêt particulier.
A la demande de plusieurs camarades, une légère variante a été apportée à cette boucle. Elle permet d'éviter la voie des trous de la Dalle Cassée (n° 12 du plan) dont la prise de sortie est inaccessible aux grimpeurs de petite taille, en gagnant directement le rocher voisin (n° 18) par une fissure verticale et une vire à droite. La variante présente d'ailleurs un caractère plus « montagne » que le précédent passage ; elle a été fléchée en pointillé sur les rochers.

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